Comment devenir ermite ?

Il est très fréquent que l’on me demande ici, dans les commentaires aux articles ou par message privé, comment devenir ermite. Ce qui est compréhensible, vu le sujet de ce blog.

Comme je l’ai déjà dit souvent, je n’ai pas la vocation, la grâce d’état, ni même le tempérament pour donner à d’autres des conseils spirituels et exercer un discernement sur une éventuelle vocation.

Il vaut mieux suivre les avis d’un prêtre catholique qui soit votre Père spirituel ainsi que les enseignements du Magistère* sur la vie religieuse.

Cependant, comme il est plus facile de parler d’une réalité dont a fait soi-même l’expérience, voici quelques réflexions expérimentales, qui ne sont que des réflexions personnelles.

Tout d’abord, que la vocation d’ermite soit une vocation particulière et à part entière, il suffit seulement de lire tous les jours le Martyrologe** pour s’en convaincre facilement. Dans la liste des saints du Martyrologe, il ne se passe pas quelques jours sans que l’on ne mentionne des ermites, des anachorètes. Dans la Litanie des saints et dans l’office liturgique de la fête de la Toussaint, ils ont également une mention bien particulière.

1. Mais d’où viennent-ils ? — 2. Comment devenir soi-même ermite ? — Nous allons essayer de répondre à ces deux questions.

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* Il existe cependant des nuances d’adhésion selon les degrés du Magistère. Pour mieux comprendre ce dernier point, lire cet article.

** Le Martyrologe est un livre liturgique où sont inscrits les noms des martyrs et des saints célébrés chaque jour de l’année. (Il connut plusieurs compilations dont l’une fut réalisée, au VIIIe siècle, par saint Bède, le saint patron choisi pour notre ermitage.) Dans l’Office liturgique traditionnel, on lit normalement le Martyrologe après l’office de Prime.


1. D’où viennent les ermites ?

Nous en avons parlé plus en détail dans cet article. Vous pouvez donc vous y reporter afin d’avoir un aperçu davantage historique de l’érémitisme chrétien.

Les vocations d’ermites naissent principalement de deux manières :
• il y a ceux qui choisissent directement une vie solitaire de prière sans passer auparavant par une vie religieuse communautaire ;
• et il y a ceux qui, après avoir vécu en communauté, ont la possibilité de s’éloigner physiquement de celle-ci afin de vivre de manière plus solitaire.

Selon les époques, il y a eu plus ou moins d’ermites et de cénobites (moines vivant en communauté) et plus ou moins de vocations directement et indirectement érémitiques.

Plusieurs personnes m’ont demandé si elles pouvaient devenir ermites, car elles avaient dépassé la limite d’âge fixée par des communautés religieuses au noviciat desquelles elles voulaient entrer. Pour chacune de ces personnes, je n’en sais absolument rien.

Ce que j’observe simplement est que, si ces personnes ont reçu un appel authentique à la vie érémitique, cela voudrait dire que Dieu appelle les âmes à devenir ermite à tout âge et que ceux qui ne peuvent plus faire de noviciat pour la vie cénobitique pourraient alors suivre un « noviciat » particulier pour être formé à la vie érémitique.

Il semble qu’un tel noviciat n’existe pas en tant que tel, à l’heure actuelle, si ce n’est sous la forme de démarches personnelles auprès d’un évêque en vue de devenir ermite diocésain.


2. Alors, comment devenir ermite ?

a. Différents genres d’ermite

• L’ermite diocésain •

À première lecture, le code de Droit Canonique actuel ne semble parler que d‘un type d’ermite : l’ermite diocésain.

§ 1. Outre les instituts de vie consacrée, l’Église reconnaît la vie érémitique ou anachorétique, par laquelle des fidèles vouent leur vie à la louange de Dieu et au salut du monde dans un retrait plus strict du monde, dans le silence de la solitude, dans la prière assidue et la pénitence.

§ 2. L’ermite est reconnu par le droit comme dédié à Dieu dans la vie consacrée, s’il fait profession publique des trois conseils évangéliques scellés par un vœu ou par un autre lien sacré entre les mains de l’Évêque diocésain, et s’il garde, sous la conduite de ce dernier, son propre programme de vie.

Droit canonique, Canon n° 603

• Le moine qui passe de la vie cénobitique à la vie érémitique •

Il existe cependant de vrais ermites qui dépendent d’une communauté et qui ont la permission de leur supérieur de vivre dans cet état. J’en ai connu un certain nombre. On disait bien qu’ils étaient ermites, même s’ils appartenaient toujours à une communauté en restant sous l’obédience de leur supérieur et non sous celle d’un évêque.

En relisant attentivement le Canon 603 cité ci-dessus, on peut voir une différence notable entre le premier et le second paragraphe.

Le § 2 parle de l’ermite reconnu par le droit (Eremita, uti Deo deditus in vita consecrata, jure agnoscitur si…) et ne concerne que l’ermite diocésain.

Le § 1 est plus général (Ecclesia agnoscit vitam eremiticam) et concerne donc tous les ermites, qu’ils soient reconnus ou non par le droit, comme les ermites appartenant à une communauté ou peut-être aussi les ermites sans reconnaissance canonique.

Avoir un supérieur, même et surtout en étant ermite, est une garantie de ne pas être dans l’illusion et permet d’avoir un référent plus sûr que soi-même dans la direction de sa vie consacrée. C’est une constante recommandée depuis des siècles pour la vie religieuse.

Que penser alors de ceux qui n’en ont pas ?

• L’ermite sans reconnaissance canonique ou en attente de celle-ci •

Saint Benoît, durant sa vie d’ermite, ainsi que beaucoup d’ermites des premiers siècles (cités entre autres dans le Martyrologe) n’ont pas eu la sécurité spirituelle d’un supérieur à qui ils pouvaient obéir et qui leur évitait ainsi le danger de suivre leur volonté propre, le danger d’être ce que saint Benoît appelle dans sa Règle des gyrovagues (moines vagabonds) ou des sarabaïtes (moines qui, par caprice, ne font que ce qui leur plaît).

Ils n’avaient pas non plus la reconnaissance canonique mentionnée précédemment. Pour autant, ils n’en ont pas été moins ermites.

Enluminure du XIVe siècle d’un exemplaire de la Règle de saint Benoît qui illustre les quatre genres de moines : les ermites, les cénobites, les gyrovagues et les sarabaïtes.

Que l’Église reconnaisse par le droit (jure) seulement ceux qui font profession entre les mains d’un évêque diocésain est prudence, sagesse et ordonné au salut des âmes, comme l’est le fait de demander aux membres des Instituts de vie consacrée une année minimum de noviciat et de prononcer des vœux temporaires avant des vœux définitifs.

Cette mesure a principalement le but de réduire le nombre d’ermites gyrovagues ou sarabaïtes.

(À ce propos, il faut noter que les commentateurs de la Règle de saint Benoît rappellent souvent que ces deux déviations monastiques ne concernent pas seulement les ermites mais aussi les cénobites. On peut, en effet, tout en vivant en communauté, être gyrovague ou sarabaïte, sinon de corps du moins d’esprit.)

Pour éviter ces excès, il est donc normal de rechercher, si les circonstances le permettent, une reconnaissance canonique.

Toutefois, il y a cependant aujourd’hui chez certains prêtres et certains évêques une tendance légaliste à tout réduire aux lois canoniques sans considérer le primum vivere d’une communauté ou d’un individu comme non moins important que la reconnaissance canonique elle-même.

Dom Gérard Calvet disait souvent de ne pas confondre le « secondaire » et le « second ». Ce qui est premier n’est pas second mais n’est pas forcément secondaire. Et, par définition, le premier est avant le second sans que l’un et l’autre ne soient secondaires en tant que tel (c’est-à-dire en tant que premier ou second).

Bref, pour prendre deux exemples, les « Dominicains » de Chéméré (Fraternité Saint-Vincent-Ferrier) ont été pendant des années sans reconnaissance légale. Il n’en menaient pas moins une vie dominicaine. Et comme je l’ai déjà rapporté ailleurs, voilà ce que disait Mgr Xavier Malle, évêque de Gap, le 5 mai 2019, aux ermites de Montmorin qui ont succédé au Père Emmanuel de Floris et, ce, environ 50 ans après les débuts de ce regroupement d’ermites : « Mes chères sœurs, mes chers pères, jusqu’à ce jour, canoniquement, vous n’existiez pas. Heureusement que Dieu est bien au-delà du Droit Canon et que cela n’a pas empêché la louange de Dieu ».

C’était exprimer, dans le style d’une prédication orale (puisqu’il s’agissait d’un sermon), que vouloir tout réduire aux lois canoniques est du légalisme et un manque d’équilibre dans la pensée théologique et dans la pastorale.

Alors en quoi consiste ce primum vivere en tant qu’ermite ? Dans un autre article, nous en avons parlé longuement en résumant un livre qui donne suffisamment d’informations pour mener une sérieuse vie érémitique. Voir ici cet article.

b. Les étapes recommandées

• Pour devenir ermite diocésain •

Nous suggérons les étapes suivantes :
• trouver un lieu stable et adapté,
• avoir une source stable de revenus (pour vivre sans tomber malade),
• soumettre à un supérieur une règle de vie s’inspirant des principes décrits dans cet article,
• avoir un Confesseur qui comprenne bien la vie monastique et encore mieux la vie érémitique,
• demander une reconnaissance canonique auprès de l’Évêque diocésain,
• faire profession publique des trois conseils évangéliques scellés par un vœu ou par un autre lien sacré entre les mains de l’Évêque diocésain.

• Pour être ermite sans reconnaissance canonique •

Faire la même chose que précédemment mais sans demander de reconnaissance canonique auprès d’un évêque et en prononçant des vœux privés et non publics.

Cette situation est cependant risquée et la persévérance définitive dans cette voie assez compromise à cause de la grande faiblesse humaine, non protégée par des vœux publics.

Nous ne la recommandons pas du tout, mais la mentionnons simplement car elle semble correspondre à une réalité qui peut exister.

• Pour passer de la vie cénobitique à la vie érémitique •

Comme le dit saint Benoît, il est plus sûr de vivre d’abord un temps suffisamment long en communauté avant de se lancer dans une vie d’ermite.

Personnellement, comme je l’ai déjà écrit, il me semble qu’il serait prudent d’attendre 20 ans de vie commune et 40 ans d’âge, surtout pour les hommes. Sinon, les défections risquent d’être trop nombreuses et les retours à une vie cénobitique systématiquement voués à l’échec. Ces indications n’ont pas quelque chose de très rationnel : il s’agit simplement d’intuitions par rapport aux différents moines que la Providence m’a permis de côtoyer.

Un des principaux avantages de devenir moine ermite après avoir été moine cénobite concerne la Règle de vie : il suffit de poursuivre la Règle suivie habituellement en communauté (avec les quelques adaptations obligatoires dues à une vie solitaire) sans se casser la tête à chercher autre chose. Cela donne une grande liberté spirituelle et permet justement de se protéger plus facilement contre la recherche de sa volonté propre.

Mais passer de la vie cénobitique à la vie érémitique n’est pas en pratique la démarche la plus simple, car il faut alors que le supérieur d’une communauté reconnaisse la vocation d’ermite de l’un de ses moines et qu’il la soutienne matériellement et spirituellement. Ce qui concrètement semble assez rare. Certes il arrive que, dans une communauté, un moine en fasse la demande et qu’elle lui soit accordée. Mais cela est accepté souvent à cause d’autres circonstances humaines et non parce que le supérieur voit dans cette requête une vocation particulière. Il s’agit souvent d’une exception et qui, de plus, n’est pas forcément définitive.

Cette difficulté vient principalement du fait suivant : actuellement, vous n’entrez pas dans une communauté monastique en vue de devenir un jour ermite.

Ce choix dépend entièrement du bon vouloir du supérieur de cette communauté sans que cela soit prévu comme un cursus particulier, envisageable et légitime.

En effet, si saint Benoît parle très brièvement dans sa Règle des vocations érémitiques, est-ce qu’il existe des Constitutions où l’on commente ce point en détaillant davantage comment procéder pour permettre aux vocations d’ermite d‘exister ?

Ne serait-il pas souhaitable, pour toutes les communautés monastiques qui le désirent,
• que les supérieurs discernent plus facilement les vocations d’ermite ;
• que cela soit prévu dans leurs Constitutions et donc mieux compris de tous ;
• que ces vocations soient par eux soutenus matériellement et spirituellement ?

Il me semble que bien des difficultés, des dépressions, des engourdissements spirituels dans les communautés monastiques pourraient être évités si certaines d’entre elles prévoyaient tout simplement dans leurs Constitutions un cursus particulier pour ces vocations, tout comme il existe un cursus différent pour les moines qui sont ordonnés prêtres.


Frère Toussaint, mb
en la fête de saint Benoît
ce 11 juillet 2022

Dans un prochain article, nous donnerons la liste de toutes les communautés bénédictines traditionnelles que nous connaissons avec un lien vers leur site Internet respectif. Si vous pensez avoir une vocation d’ermite et que vous recherchez une communauté où vous former, vous pourrez toujours essayer de les contacter.

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