En ce premier dimanche de Carême, la Sainte Liturgie nous propose de chanter, de prier, de méditer le psaume 90 de manière très particulière.
En effet, fait unique dans l’année liturgique, tous les chants de la messe du premier dimanche de Carême sont issus d’un unique psaume, le psaume 90.
Le Trait — la pièce de grégorien qui remplace l’Alléluia durant le Carême — le contient presque en entier : une quinzaine de versets chantés sur un deuxième mode grégorien propre aux Traits.
En raison de sa longueur, il existe une version psalmodiée — plus courte — que vous pouvez entendre dans la vidéo suivante et dont la partition se trouve à la fin de cet article.
Ce psaume fournit également, pendant tout le Carême, les versets de tous les offices (Matines, Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies).
De plus, il est entièrement chanté tous les soirs aux Complies de l’office monastique.
Quel est donc ce psaume, pour qu’il ait tant d’importance ?
La première raison est que ce psaume est cité dans l’Évangile de ce premier dimanche de Carême. La deuxième raison est qu’il est un chant de confiance et d’espérance, sentiment et vertu qui animent abondamment la liturgie du Carême.
L’Évangile de la tentation de Jésus au désert
Placé en tête du Carême, l’évangile de la tentation proclame d’avance la victoire de notre Seigneur Jésus-Christ, qui doit être notre modèle.
Texte de l’évangile du Premier dimanche de Carême.
« En ce temps-là : Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Et le tentateur, s’approchant, lui dit :
— Si vous êtes fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains.
[Cette première tentation est celle de la concupiscence de la chair envers un homme qui semble hautement spirituel aux yeux du Tentateur, mais qui est très affaibli par un jeûne de quarante jours et donc beaucoup plus vulnérable et susceptible de céder. Le péché ne serait pas tant de manger, puisque Jésus a bientôt fini son jeûne, mais d’écouter le diable et, par faiblesse charnelle, d’utiliser la puissance de sa nature divine pour le satisfaire.]
Il lui répondit :
— Il est écrit : “L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.”
Alors le diable l’emmena dans la ville sainte, et, l’ayant posé sur le pinacle du temple, il lui dit :
— Si vous êtes fils de Dieu, jetez-vous en bas ; car il est écrit : “Il donnera pour vous des ordres à ses anges, et ils vous prendront sur leurs mains, pour que votre pied ne heurte pas contre une pierre.”
[Ici Satan cite, pour tenter Jésus d’orgueil et toujours sous une apparence de bien, les versets 11 et 12 du psaume 90 : Angelis suis mandavit de te … In manibus portabunt te ne forte offendas ad lapidem pedem tuum. Jésus avait répondu au démon par un verset de l’Écriture ; le démon fait de même, par singerie.]
Jésus lui dit :
— Il est écrit aussi : “Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu”.
Le diable, de nouveau, l’emmena sur une montagne très élevée, et lui montrant tous les royaumes du monde, avec leur gloire, il lui dit :
— Je vous donnerai tout cela, si, tombant à mes pieds, vous vous prosternez devant moi.
[Dernière tentation qui unit la concupiscence des yeux à l’idolâtrie et donc à la haine de Dieu.]
Alors Jésus lui dit :
— Retire-toi, Satan ; car il est écrit : “Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul”.
Alors le diable le laissa, et voilà que des anges s’approchèrent pour le servir.
[Satan voulait que Jésus fasse venir des anges avec un acte d’orgueil. Les anges arrivent finalement grâce son acte d’humilité. C’est un bel exemple où Dieu accorde parfois une récompense à laquelle on a renoncé, le jour où Il nous voit suffisamment disposés pour la recevoir avec un cœur détaché.]
Ceux qui, pour leur propre malheur, s’appliquent à détourner le sens salutaire des saintes Écritures font ce que le diable a fait et prouvent bien par là qu’ils lui appartiennent.
Saint Bernard, Premier sermon sur le psaume XC.
Le psaume 90, le psaume de la confiance et de l’espérance
Traduction littérale du texte chanté à Complies
1. Qui hábitat in adjutório Altíssimi, * in protectióne Dei cæli commorábitur. | Celui qui demeure dans le secours du Très-Haut séjournera sous la protection du Dieu du Ciel. |
2. Dicet Dómino: Suscéptor meus es tu, et refúgium meum: * Deus meus, sperábo in eum. | Il dira au Seigneur : Vous êtes mon soutien et mon refuge : mon Dieu, j’espérerai en lui. |
3. Quóniam ipse liberávit me de láqueo venántium, * et a verbo áspero. | Car il m’a délivré lui-même du piège du chasseur, et de la parole amère. |
4. Scápulis suis obumbrábit tibi: * et sub pennis ejus sperábis. | De ses ailes, il te couvrira d’ombre ; sous son plumage, tu espéreras. |
5. Scuto circúmdabit te véritas ejus: * non timébis a timóre noctúrno. | Sa vérité t’environnera comme d’un bouclier ; tu ne seras pas dans la crainte par la peur de la nuit. |
6. A sagítta volánte per diem, † a negótio perambulánte in ténebris, * a ruína et dæmónio meridiáno. | Ni par la flèche qui vole durant le jour, ni par la peine traversant les ténèbres, ni par la chute et le démon de midi. |
7. Cadent a látere tuo mille, † et decem míllia a dextris tuis: * ad te autem non appropinquábit. | Mille tomberont à ton côté et dix mille à ta droite ; de toi, il ne s’approchera pas. |
8. Verúmtamen óculis tuis considerabis: * et retributiónem peccatórum videbis. | Mais cependant tu considéreras avec tes yeux ; et tu verras la rétribution des pécheurs. |
9. Quóniam tu es, Dómine, spes mea: * Altíssimum posuísti refúgium tuum. | Car Vous, Seigneur, vous êtes mon espérance ; tu as établi le Très-Haut comme ton refuge. |
10. Non accédet ad te malum: * et flagéllum non appropinquábit tabernáculo tuo. | Le mal ne s’approchera pas de toi ; et le fléau ne s’approchera pas de ta tente. |
11. Quóniam Ángelis suis mandávit de te, * ut custódiant te in ómnibus viis tuis. | Car le Seigneur a commandé pour toi à ses anges de te garder dans toutes tes voies. |
12. In mánibus portábunt te, * ne forte offéndas ad lápidem pedem tuum. | Ils te porteront dans leurs mains pour ne pas heurter par accident ton pied contre une pierre. |
13. Super áspidem et basilíscum ambulábis, * et conculcábis leónem et dracónem. | Tu marcheras sur l’aspic et le basilic, et tu fouleras au pied le lion et le dragon. |
14. Quóniam in me sperávit, liberábo eum: * prótegam eum, quóniam cognóvit nomen meum. | Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai ; je le protégerai, parce qu’il connaît mon nom. |
15. Clamábit ad me, et ego exáudiam eum: † cum ipso sum in tribulatióne: * erípiam eum, et glorificábo eum. | Il criera vers moi et, moi, je l’exaucerai ; je suis avec lui dans la tribulation ; je le délivrerai et je le glorifierai. |
16. Longitúdine diérum adimplébo eum: * et osténdam illi salutáre meum. | Je le comblerai de longs jours et je lui montrerai mon salut. |
Extraits et résumés des dix-sept sermons de saint Bernard sur le psaume 90 (adressés à ses moines)
Ps. 90, v. 1 : « Celui qui demeure dans le secours du Très-Haut séjournera sous la protection du Dieu du Ciel. »
Ceux qui ne demeurent pas dans le secours du Très-Haut sont ceux qui n’espèrent pas, ceux qui désespèrent et ceux qui espèrent mais en vain.
Ils n’espèrent pas ceux qui ne cherchent que les choses temporelles et se reposent sur leur propre force.
Ils désespèrent ceux qui, considérant leur propre faiblesse, manquent de courage et succombent sous le poids de la faiblesse de l’esprit, en ayant établi leur demeure dans leur chair.
Ils espèrent en vain ceux qui espèrent en la miséricorde infinie de Dieu pour ne point se corriger de leurs défauts.
Les premiers ont établi leur demeure dans leurs propres mérites, les seconds dans leurs peines et les troisièmes dans leurs vices.
Et de telles demeures menacent ruine à chaque instant.
Ceux-là seuls demeurent dans le secours du Très-Haut, qui n’ont qu’un désir, obtenir ce secours, et qui n’ont qu’une crainte, venir à le perdre. Toutes leurs pensées, tous leurs soins, toute leur sollicitude sont là. C’est pour eux toute la piété, tout le culte de Dieu.
Ceux-là seuls séjourneront dans la protection du Dieu du Ciel.
Ps. 90, v. 2 : « Il dira au Seigneur : “Vous êtes mon soutien et mon refuge : mon Dieu”, j’espérerai en lui. »
Dès que la tentation assaille notre esprit, réfugions-nous sans retard vers lui et implorons humblement son secours.
S’il arrive que la tentation nous saisisse, parce que notre fuite n’a point été assez rapide, donnons-nous du repos que lorsque le Seigneur nous aura pris dans ses mains.
Il est impossible, en effet, que les hommes ne tombent point quelquefois, tant qu’ils demeurent en ce monde, mais les uns se brisent en tombant, et les autres ne se brisent point, parce que Dieu a étendu sa main pour les recevoir dans leur chute.
Il y a cette différence entre les chutes du juste et celles du pécheur, que l’un, quand il tombe, est reçu par le Seigneur, et se relève plus fort qu’auparavant, tandis que l’autre ne tombe que pour ne plus se relever.
Que dis-je, il tombe dans une mauvaise honte ou dans l’impudence. Ou bien il trouve le moyen d’excuser ce qu’il a fait, et le sentiment de honte, qui lui fait trouver des excuses à son péché, est lui-même une source de péché. Ou bien il se fait un front de prostituée et, bien loin de craindre Dieu ou les hommes, il publie son péché comme le faisait Sodome.
Le juste, au contraire, s’il tombe, est reçu dans les mains mêmes du Seigneur, et c’est merveille de voir comme son péché devient pour lui une source de justice
En effet, n’est-ce point tomber sur les mains de Dieu, que de tomber dans celles de l’humilité ?
Saint Bernard prend le mot susceptor (soutien, défenseur) au sens littéral du verbe suscipio (prendre par dessous, recevoir par dessous, sou-tenir).
L’univers peut dire à Dieu : vous êtes mon créateur. Mais il n’y a que celui qui a établi sa demeure dans l’assistance du Très-Haut qui puisse lui dire : « Vous êtes mon soutien ». Aussi ajoute-t-il « mon Dieu ».
Comment ne pas être porté à croire que Dieu est particulièrement notre Dieu, si on le voit toujours tellement attentif à nous, qu’il ne perde pas un seul instant de vue, non seulement ce qui paraît de nous au dehors, mais encore ce qui se passe au fond de notre cœur, et qu’il voit et juge non seulement toutes nos actions extérieures, mais même les plus imperceptibles mouvements de notre âme ! Quiconque en est là peut s’écrier : « Il est mon Dieu, et je mettrai mon espérance en lui. »
Ps. 90, v. 3 : « Car il m’a délivré lui-même du piège du chasseur et de la parole amère. »
Ô homme, pourquoi t’enorgueillis-tu ? Pourquoi tires-tu vanité du peu de connaissance que tu as ? Considère donc que tu es devenu semblable à des animaux auxquels les chasseurs tendent des filets.
…à suivre…